Bouddha ne croyait pas en la réincarnation. C'est ma conviction. Pourtant il ne l'a jamais dit comme il n'a jamais dit qu'il croyait à la réincarnation.
A l'époque de Bouddha tous ses contemporains croyaient en la réincarnation, la religion dominante était l'hindouisme, même les nouvelles religions apparues, tel le jaïnisme, y croyaient. Ailleurs si on n'y croyait pas on était convaincu tout de même à une nouvelle vie après la mort.
Il est évident que Bouddha, s'il voulait continuer à pratiquer son enseignement s'il voulait qu'on vienne l'écouter, ne devait pas rentrer dans un conflit intellectuel, religieux ; il ne fallait pas que les brahmanes ou autres prêtres viennent interdire son enseignement qui serait en complète opposition aux fondamentaux de leur propre religion. De plus, que la réincarnation existe ou n'existe pas n'avait que très peu d'importance par rapport à sa doctrine, son enseignement.
Dans l'histoire nous avons connu beaucoup d'autres cas de scientifiques ou de philosophes qui devaient taire leurs propres convictions pour pouvoir poursuivre leurs études. Darwin, notamment, afin de ne pas être qualifié d'hérétique, pendant longtemps ne se confia qu'à ses amis les plus proches sur ses hypothèses de l'évolution des espèces ; Galilée, aussi, connaissant le sort qui avait été réservé à ceux qui prétendaient que la terre n'était pas le centre de l'univers attendit l'amoncellement de preuves scientifiques avant de dévoiler ses résultats, il en fut tout de même condamné. Aussi je pense que Bouddha était dans la même situation mais en revanche, contrairement à eux, ce sujet, la réincarnation ne faisait pas partie de ses réflexions ni de son enseignement ; il n'avait pas à en débattre.
Maintenant je vais essayer d'expliquer pourquoi je suis convaincu que Bouddha ne croyait quand une seule vie.
Tout d'abord, pour nous amener sur le chemin de la cessation de toutes les souffrances il nous met en évidence certaines notions comme l'impermanence, l'interdépendance, la vacuité, le non-soi, etc. La vacuité et le non-soi, ne sont pas, pour moi, conciliable avec l'idée d'une autre vie après la mort. En introduction d'un des sermons de Bouddha le « Cula-Sunnata-sutta », Môham Wijayaratma rappelle, d’ailleurs, que comprendre la vacuité permet d'acquérir la capacité de rester détaché des opinions fausses, comme l'idée de l'âme, l'idée d'un Soi personnel, éternel, etc. donc dans ces conditions il est difficile de croire à une vie après la mort quelle qu'elle soit.
Dans un autre sermon de Bouddha, le « Sivaka sutta », qu'on peut traduire par « les actions et leurs résultats » Bouddha est interrogé ainsi :
« Il y a, honorable Gotama, des samanas et des brahmanes qui soutiennent cette opinion et disent : « toutes les sensations joyeuses, ou douloureuses, ou neutres, éprouvées par tel ou tel individu dépendent des actions qu'il a commises dans le passé. » À ce propos, qu'avez-vous à dire, honorable Gotama ? ».
Ici Sivaka, l'interrogateur, aborde la notion de karma et de Samsara (le cycle des vies, de renaissance en renaissance), c'est d'ailleurs dans l'hindouisme des notions qui permettent de justifier la situation des castes (on ne naît pas noble ou intouchable par hasard, mais bien en vertu des mérites ou des fautes qu'on a accumulés dans sa vie précédente). Dans sa réponse Bouddha, comme à son habitude, veut être pédagogique. Ainsi il va prendre des exemples de la vie quotidienne qui sont des faits réels :
« O Sivaka, il y a aussi des sensations qui se produisent à cause de la bile. Vous pouvez savoir par votre propre expérience qu'il y a aussi des sensations qui se produisent à cause de la bile. Le fait de l'existence de sensations qui ont la bile pour origine est généralement reconnu par le monde comme vrai. Dans ce cas-là, ô Sivaka, les samanas et les brahmanes qui disent « toutes les sensations joyeuses, ou douloureuses, ou neutres, éprouvées par tel ou tel individu dépend des actions qu'il a commises dans le passé » vont trop loin des faits qu'on peut reconnaître par l'expérience personnelle et des faits généralement reconnus par le monde. À cause de cela je dis que l'opinion de ces samanas et de ces brahmanes n'est pas correcte. »
Après la bile, Bouddha va prendre d'autres exemples comme le flegme, le souffle, les humeurs du corps, le changement des saisons. Ainsi il démontre à Sivaka que dans ces exemples nous faisons l'expérience de faits réels, vécus et que bien entendu tout le monde les validait. En revanche dire que les actions d'une vie passée influaient sur la vie présente ne découlaient d'aucune expérience vécue et que ainsi l'opinion des samanas et des brahmanes n'est pas correcte. Le maître bouddhiste qui a écrit le texte, bien après la mort de Bouddha, va en faire une analyse liée à ses propres convictions. Il en déduira que les actions d'une vie du passé constituent des causes importantes au même titre que les causes provenant des quatre autres lois naturelles du vivant. Bien entendu, personnellement je ne pense pas la même chose, je crois que Bouddha (ne croyant pas lui-même à de multiples vies) veut démontrer que n'ayant aucune preuve de ces expériences il n’était pas nécessaire de s'y attarder. En bref, il balaie d'une main les opinions des brahmanes pour continuer ses enseignements liés au moment présent.
J'ai trouvé aussi un entretien avec de jeunes religieux errants d'origine brahmanes particulièrement intéressant. Ce texte appelé « Uttiya-sutta » est un échange sur des questions métaphysiques. Voici un extrait du dialogue :
"A votre avis, honorable Gotama, l'être libéré existe-t-il après la mort ? Pensez-vous que cette opinion seule est la vérité et que le reste n'est qu'absurdité ?"
"Non, ô Uttiya (l’un des jeunes religieux), je n'ai pas dit que l'être libéré existe après la mort, tout cela seul est vérité est que le reste n'est qu’absurdité".
"A votre avis, honorable Gotama, l'être libéré n’existe pas après la mort ? Pensez-vous que cette opinion seule est la vérité et que le reste n'est qu'absurdité ?"
" Non, ô Uttiya, je n'ai pas dit que l'être libéré n’existe pas après la mort, tout cela seul est vérité est que le reste n'est qu’absurdité."
Je vois encore ici que sur une question sur la vie après la mort (cela concerne aussi la réincarnation) Bouddha se contente de dire qu'il n'a rien dit… Personnellement j'en déduis qu'il ne souhaite pas dire le fond de sa pensée.
Un peu plus loin Uttiya insiste encore, Bouddha lui répond :
"Non, ô Uttiya, je n'ai pas dit que l'être libéré n’est ni existant ni non existant après la mort, que cette opinion seule est la vérité, que le reste n'est qu’absurdité."
"Or,Si vous n'avez pas dit tout ça, honorable Gotama, dites-moi ce que vous avez dit."
"Avec plein de compréhension, ô Uttiya, j'enseigne la doctrine aux auditeurs et cette doctrine là a pour but la pureté, la suppression du chagrin et du désespoir, la fin de la souffrance et de la dépression, l'intention de la haute sagesse et la réalisation du Nirvana."
Ici je vois clairement Bouddha rappeler que toutes ses propres interventions ne sont liées qu’à l’enseignement sur la vérité de la souffrance, l'origine de la souffrance, la cessation de la souffrance et le chemin menant à la fin de la souffrance. Bref il n'enseigne sur rien d’autres, donc rien sur ces questions métaphysiques.
Si personnellement, je suis convaincu que Bouddha ne croyait pas à la réincarnation, il est évident que toutes les écoles, tous les courants du bouddhisme sont convaincus du contraire… Avec humour je dis que je suis bouddhiste lié au 4ème véhicule, mon véhicule… (Voir aussi mon article précédent)
Pour connaître tous mes articles sur le bouddhisme, commencer par celui-ci : "Je suis bouddhiste..."
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